Il y a quelques jours, j’ai une une grande surprise, j’avais rendez-vous avec une patiente (son premier rendez-vous) qui n’est pas venue. Seule dans mon cabinet, je la rappelle et finalement obtiens l’explication : « j’ai vraiment envie de perdre du poids, j’ai pris une demi-journée de congé pour venir vous voir mais au moment de venir j’ai eu un gros coup de stress, j’ai eu peur, et je n’ai pas réussi à venir.«
Ben ça alors, je ne m’y attendais pas. Après pourtant des années de pratique j’avoue qu’il est déstabilisant de constater que les problèmes de poids ont rejoints ceux des dents. A force de messages déstabilisants dans tous les sens, ça y est, le diététicien a de commun avec le dentiste « qu’il va faire mal ».
Alors j’en profite pour dire qu’en 2014 ce ne sont plus les dentistes qui font mal mais les dents avant d’aller consulter lesdits dentistes. Ils ont tout l’attirail d’anesthésiques pour « qu’aller chez le dentiste » ne soit plus douloureux.
Revenons-en aux diététiciens… donc si je comprends bien nous faisons mal à nos patients… ça n’est probablement pas faux, pas des douleurs physiques bien sûr (je précise au cas où 🙂 mais de plus en plus le travail diététique ne concerne plus les calories ingérées mais le pourquoi nous mangeons. De plus en plus l’alimentation devient indissociable du rythme de vie, et quand on regarde notre manière de (mal) manger, qu’on cherche à la remettre en cause, c’est souvent toute notre manière de vivre et de consommer que nous mettons dans la balance. Le stress du travail, la trop courte pause déjeuner, les obligations professionnelles (resto d’affaire tous les midis par exemple, avec des « attentes » des personnes avec qui vous êtes), le temps de transport qui empiète sur celui passé en famille ou à pouvoir cuisiner… et quand on commence à toucher à tout ça, oui ça peut faire mal. Pour avancer il faut parfois bousculer certaines choses, se remettre en question, accepter de bouger là où au départ on n’a pas trop envie, risquer et accepter de choquer les autres… « calories et psychologie », ça ferait un bon titre de bouquin 🙂
Bref j’ai bien compris, je le constate tous les jours et je vous en ai déjà longuement parlé, que derrière un rendez-vous « pour perdre du poids » il y a potentiellement énormément de choses à prendre en compte… et qu’un travail complexe et souvent pluridisciplinaire est de plus en plus souvent nécessaire pour aller dans la direction du bien être de mes patientes.
Là où c’est nouveau pour moi c’est de constater que ce travail fasse tellement peur qu’on en vienne à carrément ne pas venir au rendez-vous pour lequel on a déjà fait ce qui me semble le plus dur : décrocher son téléphone pour prendre le rendez-vous (comme pour le dentiste).
Voici la suite de l’histoire : j’ai expliqué à ma patiente que je comprenais, qu’en effet ça n’était pas quelque chose de simple, et je lui ai conseillé de prendre un peu de temps, d’y réfléchir et de me rappeler lorsqu’elle se sentirait prête.
Cette patiente à rappelé quelques jours plus tard, à repris rendez-vous (via mon secrétariat)… et de nouveau m’a posé un lapin.
Là je n’ai pas grand chose à ajouter. Je suis déçue pour elle, comme je l’ai déjà évoqué il y a quelques temps ça n’est pas tant mon temps perdu que l’estime de ma patiente qui compte. 2 échecs consécutifs, je ne vais pas m’acharner car ça n’est pas à moi de faire ce travail, mais je ne peux pas m’empêcher de souffrir pour elle. Elle doit se sentir mal, elle n’osera probablement pas me rappeler car morte de honte, alors que je suis sûre que c’est quelqu’un de bien.
Voilà pour cette histoire, je vous raconterai si jamais il y a une suite.
Quels enseignements en tirer ?
Tout d’abord je suis déçue du poids (sans jeu de mot) qu’on met sur les épaules des femmes (et des hommes de plus en plus) au niveau de leur rondeurs. D’un côté on vante le bien manger, de l’autre on tiraille sur le temps disponible et les moyens financiers pour obtenir ce bien manger. Les messages sont partout contradictoires, par exemple ce fameux « faites-vous plaisir / attention à ne pas manger trop gras-sucré-salé / photos de mannequins anorexiques dans les pubs ». Je vous invite à lire ce qu’Olivier avait écrit il y a quelques mois ici-même. Il y a de quoi devenir folles !
« On » a tellement été dans tous les sens qu’on a fini par faire peur aux gens, qui – du coup – ne se sentent même plus en confiance pour manger à leur faim, pour écouter leurs sensations, pour être à l’écoute d’eux-même… ni même pour se sentir en légitimité pour demander de l’aide. J’en suis encore retournée, désolée si ça transparait dans le ton de ce billet.
Dans ma pratique une grosse partie de mon travail consiste à rassurer, à vous faire comprendre, via des techniques et exercices que vous avez tout ce qu’il faut en vous pour manger correctement, pour trouver l’équilibre que vous cherchez. Ca n’est malheureusement plus aussi inné, mais c’est quelque chose que nous avons en nous, il faut juste trouver pour chacun comment conjuguer la réalité de la vie quotidienne avec ses besoins et ses envies. C’est ce qui prend le plus de temps, trouver les leviers sur lesquels nous pouvons travailler, lâcher ceux qui sont ou semblent immuables. Mais quel bonheur pour moi (et pour elles) quand je revois quelques patientes qui « n’ont plus besoin de moi », je les sens épanouies, le sourire aux lèvres et surtout apaisées vis à vis de leur corps. Elles n’ont pas eu besoin d’entrer en guerre contre leur corps, juste d’apprendre ou plutôt réapprendre à communiquer avec lui.