Voici une phrase issue d’un échange avec ma stagiaire sur ma manière de travailler. Cette simple phrase m’a fait pas mal réagir (et réfléchir).
Ce que voulait dire ma stagiaire c’est qu’elle a l’impression que durant mes consultations je me préoccupe assez peu de ce que mes patients mangent puisque je ne calcule pas les quantités de calories qu’ils ont ingéré, je ne leur demande pas de supprimer tel ou tel aliment, je ne leur fournis pas de restriction quantitative en matière d’aliment, … bref je n’applique pas la méthodologie de travail apprise sur les bancs de l’école. Sous entendu : je ne fais pas de la « vraie » diététique.
Comme je vous l’ai déjà dit, je travaille sur le comportement alimentaire (pourquoi on mange, ce qu’on ressent, le plaisir à manger, la déculapbilisation à manger … donc en effet je ne passe que très peu de temps sur la quantité des aliments présents dans l’assiette de mes patients mais en même temps :
– mes patients viennent me voir la plupart du temps pour une perte de poids. Or pour perdre du poids, on se fiche de la qualité alimentaire. Je suis volontairement confrontante, mais dites-moi si le régime hyperprotéinée est bon pour la santé ? équilibré ? ne fait pas perdre du poids ? Non bien évidemment. Il y a perte de poids si la consommation alimentaire est ajustée aux dépenses énergétiques du corps. Donc attendre d’avoir faim pour manger qui signifie « attendre que le corps demande de l’énergie car il en manque » va dans ce sens, à mon avis. De même, s’arrêter de manger alors qu’on a plus faim, quitte à ne pas manger le laitage ET le fruit tant recommandé, signifie que la personne, en s’écoutant, va consommer moins d’énergie au total. Mathématiquement, scientifiquement parlant, en écoutant ses sensations alimentaires, on finit par moins manger si l’on mangeait trop avant. Donc cela favorise une perte de poids. Si en plus la frustration n’est pas là, que ça n’est pas pénible à appliquer : n’est ce pas un gage de stabilisation pondéral à long terme ?
– mes patients arrivent apeurés à l’idée de manger. Culpabilité, grignotages, compulsions, restrictions, peur de manger, peur de grossir, perte de contrôle, baisse de l’estime de soi … Ils vivent au quotidien ces différents états émotionnels. Ils sont perdus. J’entends souvent : « dites-moi ce que je dois manger », « aidez-moi à manger équilibré car je sais mais je n’y arrive pas », « je mange mal c’est du n’importe quoi » … Ce sentiment d’échec provient du fait qu’ils essaient d’appliquer des règles alimentaires sans les ajuster à leur besoins. Ils arrivent même à considérer que l’autre sait mieux qu’eux même. Leur confiance en eux est déstabilisée voir quasi absente. Ils ont développé un trouble alimentaire en voulant faire « bien ». Du coup si j’applique ce que j’ai appris à l’école, je dois considérer que je sais mieux qu’eux. Or c’est faux ! J’ai des connaissances en matière d’alimentation, de relations alimentation/santé mais qui suis-je pour savoir mieux qu’un autre être humain s’il a faim ou envie de tel ou telle chose ? Si je suis ces directives, je me sentirais comme une imposteur. Je préfère donc questionner mes patients, les amener à vivre des situations alimentaires qui leur fera ressentir si c’est bon pour eux, si c’est juste ou pas. Avec leurs retours et leur concours, on avance vers un ajustement des règles alimentaires, vers un plaisir à manger, vers une spontanéité à manger, vers un rapport sain (= qui ne nuit pas à la santé physique et psychique) à l’alimentation.
Voilà pourquoi je ne me focalise pas sur le contenu de l’assiette mais sur tout ce qui tourne autour de l’assiette. Or la diététique c’est quoi manger, comment manger, choisir quoi manger, chercher le plaisir que procure le fait de manger … En travaillant sur le comportement alimentaire, je fais bien de la diététique, et ce conformément à mes diplômes.Une approche plus psychologique que ce que nos formations initiales privilégient mais il s’agit bien toujours de diététique !
Il se trouve que la diététique est au carrefour de la médecine, de la psychologie et du sport. Pour toutes ces raisons, la diététique est sur le fil du rasoir de plusieurs disciplines. Il est donc logique de frôler ces différentes activités. En matière d’activité physique, c’est plutôt bien vu. Personne n’a à redire sur le fait qu’un diététicien va inciter à bouger et faire du sport. Pourtant nous ne sommes pas prof de sport ni coach sportif … Quand on approche la psychologie on se heurte encore à beaucoup d’incompréhension : territoire gardé des psychologues et psychiatres, « voir un psy ? mais non car je ne suis pas folle », … En pratique je considère qu’il est aussi de notre devoir que de se former dans l’ensemble des directions que sous-entend notre profession afin d’aider au mieux nos patients ET de connaître les limites de notre profession. Une diététicienne n’est pas un psychologue mais c’est malgré tout par elle que la relation « psychologique » peut commencer : une patiente vient me voir pour des problèmes de poids. En réalité nous travaillons ensemble afin de mettre en évidence un trouble alimentaire, et les causes de ce troubles ont parfois besoin d’être prises en charge via un travail avec un psychologue.
Encore une fois, je termine avec un article 3 fois trop long et doit probablement donner l’impression que je suis en guerre mais je suis toujours autant révoltée par le fait de devoir être dans un moule et que celui-ci soit définitif (diet = calories). Des règles c’est bien, cela structure et rassure mais trop de règles ou des règles rigides amènent l’effet inverse de celui escompté. Je dis juste attention à l’hyper rigidité.
Moi qui ai beaucoup « fréquenté » les cabinets diététiques…combien de fois ne suis je jamais revenue voir une diététicienne tant je craignais le regard « culpabilisant » que j’allais recevoir en retour si je n’avais pas suivi les « saintes règles » prescrites sur un programme plus ou moins personnalisé ! combien de fois, parce que je n’avais pas maigri ou même parce que j’avais repris quelques centaines de grammes, n’ai-je jamais osé affronté un regard qui ne m’aidait pas….bien au contraire .
Alors moi qui viens vous voir régulièrement et bien, je n’ai aucune appréhension avant nos rendez-vous car je sais que c’est un moment qui va me permettre de réfléchir, de me poser et que la question de mon poids ou de « l’équilibre alimentaire » ne sera pas au coeur de la discussion…
J’avance lentement mais surement dans un changement en profondeur de mes comportements alimentaires et je crois que c’est vraiment l’essentiel mais c’est plus aride c’est vrai !
alors heureusement que les pratiques sont diverses et qu’il y a d’autres chemins que l’orthodoxie y compris dans le domaine de la diététique….
J’ai beaucoup aimé votre article, je ne m’a pas semblé long du tout, je me retrouve bien dans vos propos, les règles sont là pour nous guider, en douceur pas pour nous régenter. La diététique est pour moi un art de vivre.
Moi-même diététicienne je partage absolument votre point de vue concernant les pratiques diététiques et je vais moi aussi dans ce sens avec mes patients (activité libéral depuis janvier 2010 dans le nord de la France) : retour aux sensations NATURELLES que sont la faim et la satiété, écoute des envies, ni interdit alimentaire ni restriction quantitative, etc. Au final : de bons résultats et des patients satisfaits et mieux dans leur corps !
La lecture de cet article fut un vrai plaisir et j’en suis d’autant plus convaincue d’avoir adopté une « bonne » méthode !
Bonne continuation !
également diététicienne ( hospitalière), je partage et applique cette pratique . D’ailleurs, les patients sont toujours surpris de ne pas entendre les mots calories, restrictions pendant les entretiens.
Rassurée de ne pas être la seule sur cette approche , merci!!!
bonne continuité
j’ai adoré votre article et je ne le trouve pas du tout long. j’ai longtemps été boulimique et en surpoid et je culpabilisais toujours quand je mangeais. j’ai vu plusieurs diététiciens qui me proposaient des régimes alimentaires très strictes avec lesquels je maigrissais, mais juste après je regrossissais, et je reprenais plus de kilo qu’avant. jusqu’à l’année dernière ou j’ai frôlé l’obésité et mon médecin généraliste m’obligea a aller voir une diététicienne. je suis partie à contre cœur mais j’ai été très surprise de l’approche qu’elle préconisait. comme vous elle me disait qu’il n y a pas meilleur moyen que d’écouter son corps et de faire de l’exercice. la seule restriction qu’elle m’imposer était de fuir le gras trans comme de la peste car c’est nocif pour le corps. elle faisait aussi beaucoup de psychologique avec moi. grâce a elle je ne fais plus de crise de boulimie, j’ai perdu du poids sans que ca soit difficile. le seul regret que j’ai, c’est qu’elle ait pris sa retraite car a chaque fois que je me sentais perdu j’allais la voir et elle me redonnait confiance. en lisant votre article, j’ai éprouver ce même sentiment que j’avais grâce a elle, je me suis sentis confiante et je trouve que c’est un sentiment dont on a vraiment besoin pour maigrir. donc merci
J’aime beaucoup votre façon de voir le métier de diététicienne et je partage votre avis. Votre article a fait écho à ma propre situation et me pousse à me rendre à l’évidence: je pense avoir besoin d’aide. Il m’est cependant impossible de rencontrer une diététicienne ou un psychologue (manque de moyen financier). Avez vous un conseil à me donner?