Peut-être vous a-t-on exprimé ce diction dans votre enfance lorsque vous n’aviez plus faim pour terminer votre assiette… En tous cas, je voulais vous en parler car je voudrais vous montrer que les expressions de langage courant ne sont pas dénuées de sens.
En consultation, bon nombre de mes patients ont reçus une éducation alimentaire les incitant à manger ce qu’il y avait dans leurs assiettes quoiqu’ils ressentent. Plutôt que de juger la méthode d’éducation, revenons à l’histoire. D’où vient cette incitation à manger même sans faim ?
Autrefois, il n’y a pas bien si longtemps que ça quand même, au début du 19éme siècle, l’alimentation suivait la logique des saisons et des évènements historiques (famine, guerres, épidémies …). Durant certaines périodes des gens ont souffert de la faim. Or le corps ayant une mémoire autant que la tête ; les gens ayant vécu des manques ont fait en sorte que leurs enfants ne vivent pas ce que eux ont pu subir. C’est ainsi que les parents ayant été traumatisés par la faim, les restrictions, les manques ont éduqués leurs enfants de manière à ce qu’ils n’aient pas faim mais surtout à ce qu’ils respectent les aliments car ce sont des denrées qui peuvent se faire rares. Ils leurs ont donc inculqués la valeur des aliments.
Cet axe éducatif est noble et part d’un bon sentiment. Cependant, il a été par la suite déformé car appliqué comme une règle, rigide et stricte. La notion de respect s’est transformée en « il faut » et tu dois ». Le fondement de cet axe éducatif a disparu au profit de « c’est comme ça, il faut ». Les arguments justifiant cet axe se sont peu à peu modifiés pour aboutir à « il ne faut pas gâcher car d’autres meurent de faim ». Argument plaqué qui n’explique rien du tout à l’enfant qui se questionne.
Je m’explique. Un enfant qui dit qu’il n’a plus faim et qui souhaite arrêter de manger réagit ainsi car son corps n’a plus besoin d’énergie et qu’il est donc arrivé à satiété. Si ses parents lui rétorquent « Tu as eu les yeux plus gros que le ventre alors tant pis tu finis quand même ton assiette sinon tu vas gâcher de la nourriture. » Ce a quoi l’enfant s’interroge : « C’est quoi gâcher ? » Et a ses parents de lui dire : « C’est lorsque toi tu ne finis pas ton assiette et qu’on jette le reste alors qu’ailleurs dans le monde quelqu’un meurt de faim. Il faut donc que tu manges pour ne pas gâcher. »
Prenons un peu de recul et analysons ces échanges. L’enfant réagit par instinct et besoin. Il n’a plus faim donc il lui paraît logique de s’arrêter de manger. Il vérifie auprès de ses parents que son comportement est logique et « normal ». Or, ses parents lui expliquent que ce n’est pas bien d’écouter son corps, que sa tête c’est trompée mais il faut assumer sa faute et qu’en plus son comportement risque de faire mourir quelqu’un. Effrayant non ? Que comprends l’enfant ? Il ne faut pas s’écouter, appliquer les règles des parents sinon il sera un meurtrier. Quel poids sur les épaule de cet enfant ! Quel fardeau même.
Répété continuellement et l’enfant devenu adulte ne saura pas s’écouter et l’évitera même car « il ne faut pas ». L’enfant adulte ne remettra même plus en question son comportement. Il appliquera des règles qui lui conviendront plus ou moins. « C’est papa et maman qui me l’ont dit donc c’est vrai et si je ne le fais pas je risque de m’attirer les foudres et surtout je risque de décevoir mes parents… »
En consultation, lorsque des comportements incohérents sont mis en évidence et qu’on les décortique, on s’aperçoit que cela vient de l’éducation parentale. Lorsqu’on analyse objectivement les arguments donnés par les parents, les patients se rendent bien compte de l’ineptie de la situation.
Revenons aux faits. Si l’enfant ne mange pas, un être humain risque de mourir de faim. OK. S’il mange personne ne mourra ? Quoique que fasse l’enfant : manger ou ne pas manger en quoi cela va changer la vie d’une autre personne ? Concrètement : RIEN. En revanche, aller donner à manger à quelqu’un qui a faim ou envoyer des sous, de la nourriture à des gens qui ont faim : LA ça va changer. LA ça va concrètement aider.
Pardonnez ma colère mais je trouve aberrant de se cacher sous des principes pieux alors qu’ils permettent juste de se voiler la face. Je trouve scandaleux d’orienter un être humain à s’ignorer, à penser qu’il n’est pas digne de confiance. Je suis également outrée des arguments émis par des adultes envers des enfants car ils sont sans fondement, ne sont pas logiques et ne font que les traumatiser ! Pardonnez ma colère mais les personnes que j’ai face à moi en consultation souffrent et une des raisons de leur souffrance est une éducation alimentaire appliquée sans logique ni vraie justification ! Je peux comprendre qu’on apprenne à un enfant à ne pas gâcher, mais alors, qu’on fournisse les bons arguments, les bonnes explications.
Si on disait à un enfant : « Tu as les yeux plus gros que le ventre car tu t’es servi plus que ton corps n’en demandait. Ne te force pas à manger mais ce qui reste je le mets dans une boîte au frigo et tu le finiras au prochain repas, lorsque tu auras à nouveau faim. La prochaine fois que tu te serviras, mets en moins dans ton assiette, comme ça si tu as encore faim tu pourras te servir une nouvelle fois. »
Pour ce qui est de gâcher, c’est un travail qui incombe aux parents. S’il y a trop de restes dans le plat c’est que la quantité confectionnée n’a pas été bien dosée. Ensuite, les restes qui sont jetés sont du gâchis car ils pourrais être réutilisés, sans risque sanitaire, durant encore 2 à 3 jours. Faire retomber le gâchis sur un enfant est, à mon sens, lâche car cela fait partie des responsabilités parentales.
Ensuite, pour ce qui est d’aider son prochain, il existe bon nombre de manières de le faire. S’obliger à finir son assiette ne change malheureusement pas le cours des choses pour ceux qui en ont besoin. Mieux organiser ses achats, moins consommer et donner directement à la personne ou ceux qui en ont besoin est plus efficace, réaliste, et, à mon avis, beaucoup moins traumatisant pour l’enfant.
Attention donc. L’expression « avoir les yeux plus gros que le ventre » signifie avant tout qu’on a tendance à trop mentaliser son alimentation et à ne plus faire confiance aux signaux corporels.
Hélène, les parents ne sont que des adultes qui font un métier qu’on ne leur a pas vraiment appris : oui, nous copions nos parents et oui, nous sommes pleins de préjugés… mais un enfant qui ne finit pas son assiette, c’est plus souvent de l’ordre du caprice que d’une mauvaise évaluation de la quantité préparée. Ce sujet me parle, parce que j’aime bien me poser des questions sur ma façon d’élever mes enfants (récemment, je me suis promis de ne plus jamais forcer le plus petit à sourire et faire un bisou au père Noël… voir topito com/top-40-des-pires-photos-de-pere-noel-avec-enfants-qui-pleurent ). Je ne crois pas avoir déjà demandé qu’ils finissent parce qu’un petit africain allait mourir, et probablement d’ailleurs que mes parents n’ont pas utilisé eux même cette méthode. Par contre, je me retrouve tout à fait dans la maman du « il faut », « tu dois » et « c’est comme ça », enfin tout un tas de décisions maternelles sans explication. Alors je vais me soigner… quoique comme j’ai toujours raison, ça risque de tourner toujours autour du « tu te rappelle la fois où tu n’as rien mangé et que tu as demandé du fromage et du lait avant de dormir? ». Parce que ça me coûte beaucoup de préparer un bon repas à mes enfants et qu’ils préfèrent ne pas finir au profit d’une danette, d’un gâteau ou de pain. Raphaël a décrêté qu’il n’aimait pas les légumes (merci la cantine et les copains de cantine surtout!) et Martin trouve que le poisson ça pue. Les deux ont décidé d’un commun accord que trop manger faisait vomir et que dès qu’on n’a plus envie de finir cette assiette-là, c’est qu’on a trop mangé… (le grand a pigé qu’après, il ne devait pas prendre 2 yahourt pour finir son repas, mais le petit se trahit toujours…). Ce genre de décrêt n’étant prononcés que pour avoir accès au dessert sans passer par la case « je finis mon assiette », c’est mon cheval de bataille et non, je ne compte pas perdre la guerre… je pense continuer à leur imposer de finir leur assiette sauf pour des raisons valables : le gouter trop tard (ou les gouters d’anniversaire), la fatigue, l’assiette trop remplie (comme ils ne sont pas gros, je tente de temps en temps de remplir l’assiette un peu plus) ou la santé. En tout cas, syndrome du petit africain ou pas, être parent c’est difficile et notre façon de déterminer la différence entre un caprice « je préfère la danette » et le réel manque d’appétit est apprise sur le tas. Et en plus, je suis persuadée que le rapport entre l’envie de manger une danette et le manque d’appétit c’est plutôt du 80/20%!! C’est filou un enfant!
Je prends plaisir à découvrir votre blog. J’ai des problèmes de poids, et je suis suivie par une diététicienne.
Je suis absolument d’accord avec vous et partage votre colère dans cet article « faut pas gâcher » qu’on m’a asséné durant mon enfance. Il en résulte que j’ai un mal fou à (re)connaître ma satiété.
La culpabilité et le mépris de soi sont des choses à combattre aussi fortement que ces kilos en trop.